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La terre crue : un matériau de construction ancestral plein d’avenir

Publié en juin 2024
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Matériau de construction millénaire, la terre crue retrouve ces dernières années une place dans nos constructions modernes grâce à ses nombreuses qualités, en particulier écologiques. Deux spécialistes de l’Université Gustave Eiffel, Myriam Duc et Erwan Hamard, détaillent les intérêts et les perspectives de ce matériau pas comme les autres.

À l’exemple de la surprenante ville de Shibam au Yémen, la terre est utilisée comme matériau de construction depuis des millénaires et ce quasiment partout dans le monde. La France ne fait pas exception et possède un patrimoine important en terre crue : constructions en pisé en Auvergne-Rhône-Alpes, en bauge dans le Nord-Ouest, en adobe dans le Sud-Ouest et en Champagne ou encore en torchis en Normandie… Bien souvent rurales et édifiées il y a plus d’un siècle, les constructions en terre représentent en France environ 1 million de logements et 15% du patrimoine bâti1. Un patrimoine important mais souvent méconnu, à l’instar des nombreux immeubles en pisé de Lyon.

Un matériau remis au goût du jour

Matériau très utilisé par le passé, la terre est progressivement remplacée par le « tout béton » au XXe siècle. Ces dernières années, elle retrouve néanmoins une place dans nos constructions modernes. « La terre crue monte en puissance, souvent à l’initiative des pouvoirs publics qui commandent des bâtiments d’ampleurs : gymnases, écoles, salles de spectacle… » remarque Myriam Duc, chercheuse au laboratoire Sols, Roches et Ouvrages géotechniques (SRO/GERS).

Dans le contexte de changement climatique et de transition écologique, énergétique et sociale d’aujourd’hui, la terre crue possède plusieurs qualités qui justifient cet intérêt renouvelé. « Ce matériau est très intéressant pour de nombreuses raisons, affirme Erwan Hamard, chercheur au laboratoire Granulats et procédés d'élaboration des matériaux (GPEM/MAST). Pour moi, le premier intérêt est que l’on pourrait substituer une partie du béton par de la terre. Si l’on pose la question des ressources disponibles pour construire la ville, la réponse est de loin le matériau terre. » Chaque année en France on compte un excédent de terres excavées de 40 millions de tonnes. Utiliser cette ressource abondante, considérée comme un déchet, permettrait de réduire l'exploitation des carrières. « Par exemple, en Bretagne on pourrait réaliser l’ensemble des logements individuels de la région en utilisant les terres d'excavation qui partent dans les installations de stockage. Et c’est probablement le cas dans d’autres régions : Auvergne-Rhône-Alpes, Occitanie, Champagne, Île-de-France… »

Pour des constructions bas-carbone

Un autre intérêt de la terre est de réduire l’impact environnemental de la construction. Contrairement à la production du béton qui engendre d’importantes émissions de CO2 (une tonne de ciment, indispensable au béton, génère entre 800 kilos et une tonne de CO2), la terre ne nécessite aucune réaction chimique et les procédés d’utilisation sont bas-carbone. « On peut aussi noter que, d’après les habitants, la terre apporte un confort acoustique et hygrothermique. C’est un aspect qui reste à étudier cependant » souligne Erwan Hamard.

Des défis à relever pour développer une filière

« Si l’on redécouvre la terre crue et ses qualités, il y a encore du travail pour que le matériau trouve toute sa place entre le bois et le béton »  prévient Myriam Duc. « Le principal frein aujourd’hui c’est la réglementation : il y a un manque de réponses aux contraintes réglementaires, notamment sismiques » poursuit Erwan Hamard. Cet enjeu est notamment au cœur du Projet National Terre, co-porté par l’Université Gustave Eiffel, qui réunit les acteurs engagés pour le développement de la filière de la terre crue.

Une autre difficulté est que la terre n’est pas un matériau standard. « Elle est variable d’un territoire à l’autre et on ne peut pas construire avec les mêmes techniques (adobe, bauge, pisé, …), ni faire les mêmes constructions partout. Il est nécessaire de connaître les territoires, leur géologie et ce que l’on peut faire avec la terre » explique Erwan Hamard dont les travaux portent sur ce sujet de la convenance des terres.

Enfin, le développement de la filière suppose la formation de maçons, d’architectes, d’ingénieurs, ... Là encore l’université apporte sa pierre à l’édifice avec la formation Objectif Terre. « Il faut sensibiliser à nouveau sur l’usage de ce matériau car on ne peut prescrire que ce que l’on connait » observe Myriam Duc. D’autres sujets comme le transport – au-delà de 30 km la terre perd son intérêt environnemental - et le « stockage » de la terre  depuis son extraction jusqu’au chantier d’utilisation restent par ailleurs à approfondir avant de voir les bâtiments en terre crue se multiplier. « En effet, la gestion des zones ou plateformes pour stocker les terres sur des périodes plus ou moins longues est à optimiser en anticipant la localisation et la temporalité des besoins et des ressources en terre » souligne la chercheuse.

Glossaire

Terre crue : Mélange ou matériau fini composés de terre non cuite et non adjuvantée de liants hydrauliques tels que le ciment ou la chaux.

Projet National : Dispositif du Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, les,"Projets Nationaux" ont pour but la mise en œuvre d’une recherche collaborative dans le domaine de la construction afin de faire progresser les connaissances, pratiques, outils et méthodes.

Adobe : Briques de terre moulées maçonnées après séchage pour former un mur porteur.

Bauge : Terre malaxée à l’état plastique, modelée puis empilée pour former un mur monolithique porteur

Pisé : Terre compactée dans un coffrage pour former un mur monolithique porteur.

Torchis : Mélange de terre à l’état plastique et de fibres utilisé comme remplissage d’une structure porteuse, souvent en bois.

Vous souhaitez en apprendre davantage sur la terre crue ?

Le sujet était au cœur du webinaire « La terre crue : le matériau de construction du futur ? » proposé par l’Université Gustave Eiffel et le CMVRH2, une conférence d’1h30 proposée en replay et destinée à éclairer les politiques publiques.

1 Source : Projet National Terre  

2 Centre ministériel de valorisation des ressources humaines

L'interview a été réalisée par l'agence Kogito.

Fiche d'identité de l'article

Titre :

La terre crue : un matériau de construction ancestral plein d’avenir

Experts interviewés :Myriam Duc et Erwan Hamard
Licence :Cet article est publié sous licence CC BY-SA 4.0.
Date de parution :24 juin 2024
Langues :Français et anglais
Mots clés :terre crue, construction, adobe, bauge, pisé, torchis, bas carbone, filière, formation