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Les organisations alternatives locales, un levier pour promouvoir une consommation plus sobre

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Les organisations alternatives locales, un levier pour promouvoir une consommation plus sobre

Publié en juin 2021
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Près de la moitié de l’empreinte carbone des Français apparaît aujourd’hui liée aux « émissions importées », c’est-à-dire aux émissions liées à la fabrication de biens produits à l’étranger mais consommés sur le territoire national.

Ce constat nourrit toute une politique institutionnelle visant à modifier les comportements de consommation de nos concitoyens pour lutter contre le réchauffement climatique. Comme l’écrit le chercheur en science politique Yannick Rumpala, il s’agit là d’une « gouvernementalisation de la consommation », avec l’idée qu’« une large partie de l’amélioration de la situation se jouerait dans les travées des hypermarchés et des supermarchés ».

Une lutte pour l’hégémonie culturelle semble en cours opposant la culture de la matérialité et la culture de la sobriété. C’est le constat tiré à l’origine du projet Esadicas (Étude socio-anthropologique sur les dispositifs d’acculturation à la sobriété) que nous avons porté avec le soutien de l’Agence de la transition écologique (Ademe).

« D’un côté, un consommateur valorisant (toujours) la consommation – en faisant même un instrument d’action socio-politique. De l’autre côté, un consommateur la dévalorisant, visant à sa réduction au profit d’alternatives existentielles insistant sur son absence de nécessité, sinon même sa nocuité – psychologique, socio-culturelle, écologique ».

Invitation est alors donnée de penser comment acculturer les individus à ce second modèle, comment le leur faire « intérioriser ». Cela peut se faire notamment à partir de la notion d’hégémonie culturelle, théorisée par le philosophe italien Antonio Gramsci. Une domination culturelle peut s’inscrire au-delà de la force en s’appuyant sur son pouvoir d’attraction. Nos travaux mettent en avant, à cette fin, le fort potentiel d’organisations alternatives implantées localement, pas pleinement exploité cependant.

Une culture du foyer

Les résultats des études portant sur la réception individuelle de différents dispositifs politiques d’acculturation proposés aux consommateurs témoignent d’une certaine inefficacité. Plusieurs éléments ont pu être observés expliquant une forme de résistance au changement. Notamment, les consommateurs ne reçoivent pas passivement les informations environnementales (comme l’étiquetage CO2 des produits) et les interprètent parfois dans un sens contraire à celui escompté. Certains font même preuve de ce que nous appelons « acrasie environnementale » : ils en viennent paradoxalement à faire consciemment le contraire de ce qu’ils savent qu’il faudrait faire.

Parallèlement à ces dispositifs individualisant, l’étude de collectifs citoyens désignés comme des dispositifs collectifs d’acculturation à la sobriété met toutefois en évidence qu’il est possible à une échelle locale de contribuer à la diffusion d’autres modes de consommation.

Les dispositifs analysés (6 collectifs de production d’énergie renouvelable) relèvent d’un engagement dans la transition écologique désiré et initié librement par des consommateurs. Les organisations ainsi créées par des citoyens contre ou à côté d’acteurs étatiques ou de marché reposent sur des valeurs communes.

Pour un « monde d’après » plus en phase avec la sobriété qu’implique la lutte contre le changement climatique, c’est ainsi peut-être vers le développement de ces organisations alternatives et citoyennes qu’il convient de se tourner.

Ces organisations existent depuis de nombreuses années mais demeurent encore marginales. Un mouvement de fond durable en faveur d’écosystèmes alternatifs locaux se développe néanmoins depuis les années 2000 en France avec le succès croissant par exemple des AMAP (associations pour le maintien d’une agriculture paysanne), promouvant les circuits courts.

La question territoriale apparaît d’ailleurs importante dans les modifications de consommation, celle du « terrestre » comme la nomme le sociologue Bruno Latour. Ici, il ne s’agit pas d’une simple perception de la proximité mais d’un terrestre « enraciné ». Les collectifs que nous avons rencontrés dans notre projet de recherche recréent une culture du foyer, de la domesticité locale. Il s’agit par exemple d’Alter-Conso, qui distribue des paniers bios et locaux autour de Lyon en lien avec les paysans, ou d’Enercoop Languedoc-Roussillon, qui organise une filière d’énergies renouvelables avec une gouvernance locale.

La notion d’écosystèmes alternatifs au sens d’ « Ecotopia » (Eco, pour maison ; Topia, pour lieu) du nom du best-seller du journaliste américain Ernest Callenbach publié en 1975, prend dans ce contexte tout son sens. En mettant en œuvre des circuits courts, ces dispositifs nourrissent une dynamique territoriale s’appuyant sur les ressources disponibles localement et génèrent un maillage d’actions avec des partenaires de proximité qui partagent des objectifs et des valeurs similaires. En outre, l’originalité sociale de ces écosystèmes repose sur leurs modalités de gouvernance démocratique.

On peut néanmoins observer des freins au développement de ces dispositifs. Des ressources, financières mais aussi plus simplement en temps, et des compétences restent nécessaires. Les collectifs se heurtent aussi à des obstacles institutionnels qui concernent des normes à suivre, ou encore le formalisme des appels à projets et craignent bien souvent d’être instrumentalisés pour accéder aux ressources.

Questions lexicales

Plus que les autres types d’acteurs (collectivités, institutionnels, financeurs, associations, etc.) les collectifs de citoyens apparaissent ainsi comme une échelle à privilégier pour renforcer l’acculturation des citoyens à la sobriété. Reste que s’ils n’y sont pas hostiles, elle ne constitue pas leur cible première comme le montre l’analyse des discours.

Les collectifs rencontrés adoptent une posture critique vis-à-vis du système énergétique actuel et de ce que l’anthropologue Alain Gras désigne comme une société́ « thermo-industrielle ». Leur démarche se caractérise toutefois moins par une posture de résistance, d’opposition, que par une pensée de projection positive dans le futur. Celle-ci débouche sur des propositions économiques alternatives concrètes. Il s’agit, face à une situation perçue comme anxiogène, de se projeter par l’action et par l’organisation de la production de l’alternative dans un futur désirable.

En écho aux travaux du sociologue Michel Lallement sur l’éthique hacker du « faire », il s’agit ici d’une logique du « faire autrement ». Deux types de finalités transformatives constituent leur motivation. Si certains collectifs travaillent à une transformation locale en lien avec des projets économiques de maintien d’activités agricoles sur le territoire ou de développement de solutions d’efficacité énergétiques, d’autres semblent viser davantage une transformation sociétale avec notamment l’usage d’outils de communication visant à faire adhérer les citoyens ordinaires à un projet collectif de plus long terme.

La notion de sobriété ne semble ainsi pas une catégorie discursive pertinente pour qualifier leurs modes de consommation. S’ils l’emploient c’est en référence à un schéma normatif défini par des institutions comme l’Ademe ou par des associations portant par exemple le scénario Negawatt.

Leurs propres systèmes de normes de consommation restent plus orientés vers un lexique référant au « local » et à la « transition écologique ». Le terme de sobriété n’est pas partagé, il est mal compris et peut même être un « repoussoir ». De ce fait, il est encore difficile à transmettre et diffuser y compris dans les écosystèmes militants.

En cela, s’ils apparaissent comme des acteurs à mobiliser pour aller au-delà de la culture de la matérialité, ils ont encore à travailler autrement pour mieux diffuser la culture de la sobriété…The Conversation

Fiche d'identité de l'article

Titre original :

Les organisations alternatives locales, un levier pour promouvoir une consommation plus sobre

Auteurs :

Amina Béji-Bécheur, Éric Rémy, Philippe Robert-Demontrond

Éditeur :The Conversation France
Collection :The Conversation France
Licence :Cet article est republié à partir de The Conversation France sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Date de parution :27 Juin 2021
Langues :Français et anglais
Mots clés :

Consommation, circuits courts, sobriété, Association pour le maintien d'une agriculture paysanne (AMAP), Ademe, transition écologique, consommation durable