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Que deviennent les athlètes de haut niveau après leur carrière sportive ?
Au cours de l’été 2024, les sportives et sportifs de haut niveau (SHN) sont mis à l’honneur dans le cadre des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) qui se déroulent à Paris. Il sera prioritairement question de leurs performances sportives et du nombre de médailles olympiques glanées. Mais que deviennent toutes ces personnes au terme de leur carrière sportive ?
Cette question, peu investie par les sciences sociales françaises, est au cœur d’un vaste projet de recherche mené par l’équipe de sciences du sport de l’Université Gustave Eiffel. Si de nombreux travaux se sont intéressés aux carrières sportives (voir ici, sur les coureurs marocains dans l’athlétisme français ou encore ici, sur les joueuses françaises de tennis), peu ont en effet porté le regard sur les trajectoires professionnelles après la carrière sportive.
La période de transition entre l’arrêt de la carrière sportive et l’insertion professionnelle (qui ne sont pas forcément dissociées dans le temps) est celle qui, sur le plan sociologique, a certainement donné lieu à la plus importante production scientifique.
La qualité de cette transition va être influencée par plusieurs facteurs, tels que la cause de l’arrêt de la carrière sportive, l’adaptation de l’individu (quelqu’un ayant une identité unidimensionnelle liée au sport, va être confronté à une menace de perte d’identité), ainsi que les ressources disponibles (notamment la planification de la retraite sportive).
Une forte méconnaissance de cette population
Pour bénéficier du statut de sportive et sportif de haut niveau, il faut être inscrit sur des listes ministérielles sur proposition des fédérations sportives selon les performances atteintes. Les SHN inscrits sur la liste arrêtée par le ministère chargé des Sports se répartissent dans les quatre catégories : relève, senior, élite et reconversion. Le statut de SHN offre un certain nombre d’avantages notamment d’encadrement, de suivi, d’accès à des formations et des concours… Par exemple, des aménagements d’études, tels qu’un rallongement du cursus universitaire ou la mise en place d’horaires adaptés peuvent être proposés.
Combien de personnes en bénéficient ? Cette question est longtemps restée sans réponse, y compris lors des débats parlementaires sur la réforme des retraites des SHN car une partie des listes n’était pas numérisée et surtout parce qu’une même personne peut être inscrite « x » année(s) sur ces listes, rendant le comptage délicat.
La première phase du projet ANR PROPA a permis de lever le voile sur ce chiffre : il y a 51 565 SHN entre 1982 et 2016 (date choisie après une olympiade et permettant aux ex-SHN d’avoir une insertion et une trajectoire professionnelles), répartis dans 61 fédérations sportives, dont 31 % de femmes.
Ce projet de recherche ambitionne d’analyser les caractéristiques des emplois occupés par les ex-SHN, pour mettre au jour différentes formes d’inégalités (selon le sexe, la discipline sportive ou encore la médiatisation) en lien avec les ressources dont disposent ces personnes (familiales, sociales, économiques et sportives). Pour répondre à ces questions, le projet mobilise des entretiens et une enquête quantitative par questionnaire.
Le point de vue binaire des médias
À l’approche des JOP, les médias mettent en avant des SHN sous des angles variés. Il est ainsi question de leurs précarités, de la conciliation entre carrière sportive et projet professionnel ou encore de leurs insertions professionnelles de façon quelque peu binaire et peu nuancée comme l’avaient montré Sébastien Fleuriel et Manuel Schotté.
Il s’agit souvent d’articles sur des reconversions pleinement réussies ou au contraire, sur des échecs professionnels ou des difficultés à trouver un emploi.
Les résultats de la première phase qualitative du projet ANR PROPA menée auprès de 61 ex-SHN français nuancent cette vision binaire en montrant que l’insertion professionnelle n’est ni idéale ni chaotique, mais se situe davantage dans un entre-deux. Ce sont les résultats de cette première étape que nous présentons ici.
Un parcours de formation accompagné mais sous fortes contraintes
Le choix des études est un carrefour biographique important, qui oriente considérablement les parcours professionnels et constitue un moment charnière. Ce choix dépend de plusieurs paramètres individuels, sociaux et structurels et peut être plus ou moins choisi ou contraint ; il reste assez singulier même si des tendances peuvent se dessiner comme nous le verrons après.
L’organisation de la pratique sportive de haut niveau est très contrainte temporellement les athlètes disposent de peu de temps pour les études, elle implique un investissement personnel intense qui se fait souvent au détriment des études et peut être source d’un stress important.
Au-delà des entraînements sportifs, les SHN consacrent leur temps à d’autres suivis, tels que la récupération physique. Dès lors, le temps disponible pour se consacrer pleinement à des études est restreint.
L’accompagnement est fondamental pour la mise en place du double projet pensé comme l’articulation de la formation et des études avec la pratique sportive à haut niveau.
Le double projet est devenu un objectif important de la politique sportive et des politiques fédérales qui se sont structurées autour de cet objectif surtout depuis les années 2010. Depuis la réforme de 2015, la convention liant les SHN et les fédérations doit intégrer plusieurs dispositions importantes visant à sécuriser le statut des sportifs et leur parcours professionnel.
Les quelques études sur l’insertion professionnelle des ex-SHN montrent qu’il s’agit d’individus davantage diplômés que l’ensemble de la population et qu’ils bénéficient d’une mobilité sociale souvent ascendante.
Néanmoins, cet accompagnement se réalise dans un espace des possibles limité qui dépend des accords que les structures d’entraînement ont conclus avec celles de formation. Les formations sportives sont largement représentées dans les possibilités offertes aux ex-SHN.
Ainsi, « le recyclage des ressources sportives s’accomplit principalement dans l’univers qui les a produites », écrivent Sébastien Fleuriel et Manuel Schotté.
Nous avons pu observer cette restriction des choix dans les entretiens que nous avons réalisés :
« Il a été décidé par la force des choses et parce que je n’avais pas d’autre option si je voulais continuer à faire mon sport de manière professionnelle, j’étais obligé de choisir des études […] qui justement me permettaient de concilier les deux […] j’ai choisi STAPS par défaut et à ce moment-là je me suis dit, on m’a conseillé de faire ça parce que c’était les seules études que je pouvais faire en ayant assez de temps à côté pour m’entrainer alors que je voulais être prof d’histoire ou prof de littérature. » (Bruno, 26 ans, ex-membre de l’équipe de France d’athlétisme, responsable communication d’un club)
Bruno met bien en évidence l’articulation entre le choix (« j’ai choisi… ») et la contrainte (« on m’a conseillé… », « c’était les seules études que je pouvais faire »).
Des opportunités mais des différenciations sociales
Beaucoup d’ex-SHN que nous avons interrogés travaillent en lien avec le sport : les professions les plus représentées sont les métiers liés au face-à-face pédagogique. On retrouve souvent ces sportives et sportifs à des postes d’entraîneur, professeur d’EPS ou de sport, coach sportif, etc.
Des mesures facilitent l’accès à certains concours comme le professorat de sport, de plus, les diplômes professionnels de l’entraînement sportif sont des formations souvent conseillées aux athlètes. Ces formations permettent de concilier études et sport intensif même lorsque le parcours scolaire est difficile :
« Oui, j’ai eu une scolarité difficile, disons j’ai arrêté l’école en 3e […], heureusement que j’avais pu passer un brevet d’état d’éducateur sportif pendant ma période de sportif de haut niveau qui m’a bien aidé à trouver un poste de directeur sportif à la fin de ma carrière. » (Denis, 52 ans, cycliste, 6 participations au tour de France, employé aujourd’hui à Disneyland).
Le monde du sport offre par ailleurs des opportunités aux ex-SHN qui souvent s’y insèrent à des postes différents soit en tant d’entraîneurs ou entraîneuses, directeurs ou directrices sportifs ou cadres dans les fédérations.
Cependant, ces parcours d’insertion dépendent aussi des ressources personnelles des athlètes. Le capital social et économique des familles est important et intervient à la fois dans les possibilités de financement des études mais aussi dans les aspirations et l’accompagnement des jeunes.
De nombreux travaux ont montré les difficultés que rencontrent les personnes issues de milieux précaires. Yasmine a par exemple été dans l’incapacité de poursuivre des études et occupe un emploi précaire – dans son cas les déficits de ressources familiales se combinent à une absence de soutien des institutions sportives, malgré sa participation aux jeux olympiques de Sydney en 2000.
« Je suis arrivée à l’âge de 10 ans en France dans mon cocon familial […] j’ai pas pu suivre des études correctes. Comme je te l’ai dit ma famille ils sont illettrés donc ils ne pouvaient rien faire pour moi. […] J’ai mis fin à ma carrière en gros en 2016, pour cause de blessure […]. Donc j’ai trouvé un travail en tant qu’agent d’entretien dans une piscine municipale […]. C’est toujours un peu compliqué pour les gens comme moi qui ont fait du sport de haut niveau qui ont voyagé, qui ont fait plein de trucs, qui ont représenté la France pendant des années et se retrouver au bas de l’échelle pour pouvoir gagner leur vie. » (Yasmine, 49 ans, championne d’Europe de cross, vice-championne du monde, agent d’entretien dans une piscine)
Ces tendances issues des premiers entretiens seront amenées à être affinées par l’enquête quantitative. Celle-ci permettra de relier les situations et trajectoires aux différents paramètres qui pèsent sur elles, au croisement d’éléments de contexte et de dimensions personnelles : sport pratiqué, durée de la carrière, raisons de l’arrêt de la pratique, accompagnement, ressources personnelles et sociales, sexe…
Le projet ANR PROPA est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’ANR.
Fiche d'identité de l'article
Titre original : | Que deviennent les athlètes de haut niveau après leur carrière sportive ? |
Auteurs : | Jérémy Pierre, Cécile Collinet, Elodie Saraiva (Université Gustave Eiffel) |
Éditeur : | The Conversation France |
Collection : | The Conversation France |
Licence : | Cet article est republié à partir de The Conversation France sous licence Creative Commons. Lire l’article original. |
Date de parution : | 17 juillet 2024 |
Langues : | Français |
Mots clés : | sport, société, Jeux olympiques 2024, Agence nationale de la recherche (ANR), Jeux olympiques (JO) |