Eloquences romantiques : les années de l’Arsenal (1824-1834)

Marta Sukiennicka

Existe-t-il un art oratoire romantique ? Dans son ouvrage, Marta Sukiennicka, maitresse de conférences à l'Université Adam Mickiewicz de Poznań se pose la question et s’intéresse au rôle joué par le salon littéraire de l’académicien Charles Nodier dans la diffusion de cette nouvelle éloquence.

Alors étudiante en master de rhétorique, Marta Sukiennicka fait la découverte de Charles Nodier avec son roman La fée aux miettes. « Emerveillée » par cette lecture, elle décide de diriger ses travaux universitaires vers la question de l’art oratoire romantique.

Si la rhétorique est plus volontiers associée au classicisme et aux théories de Boileau, Marta Sukiennicka démontre qu’il existe bel et bien une esthétique de « la parole » chez les romantiques du début du XIX^e siècle dans sa thèse « L’éloquence romantique dans les œuvres de Charles Nodier et des écrivains du cercle de la Bibliothèque de l’Arsenal (1824-1834) ». Couronnée meilleure thèse de doctorat consacrée à la littérature francophone, germanophone ou luxembourgeoise en 2015 par le Prix du Consul Honoraire du Grand-Duché du Luxembourg, sa thèse a fait l’objet d’une publication en 2021.

Charles Nodier : précurseur de l’éloquence romantique et passeur de savoirs

Dans les années 1820-1830, le salon de l’Arsenal fondé par l’Homme de lettres Charles Nodier permet la diffusion et la promotion de l’esthétique romantique et ses nouvelles formes d’éloquences. Fréquenté entre autres par Victor Hugo ou Alfred de Musset qui viennent y écouter ou réciter de la poésie et de la prose, ce salon accueille la fine fleur culturelle de l’époque : de nombreux artistes, des peintres et des musiciens, à l’instar de Liszt et de Berlioz mais également des éditeurs et des illustrateurs.

Qualifié de « boutique romantique » par Musset, le salon littéraire de Charles Nodier aura également participé à la diffusion et à la promotion de la littérature européenne, contribuant notamment à faire connaître Schiller ou Goethe à la jeune génération littéraire qui ne reconnaitra pourtant pas toujours sa dette envers Nodier et son rôle de guide et de « père spirituel ».

L’influence de la Révolution

Fortement marqué par la Révolution française, l’art oratoire romantique se libère des carcans classiques et s’incarne en une « parole action » où littérature et politique se répondent sans cesse. Cette éloquence aux accents révolutionnaires se manifeste dans tous les genres littéraires, de la poésie au théâtre en passant par le roman où la confession intime et pathétique rend compte d’une nouvelle sensibilité. Par ailleurs, la rhétorique romantique reprend à son compte les trois genres de l’argumentation classique, à savoir le genre épidictique, délibératif et judiciaire.

Nodier lui-même théorisera cet art oratoire tout en se faisant commentateur politique de ces années politiquement troubles. Dans Le dernier banquet des Girondins, une œuvre à mi-chemin entre le roman et la pièce théâtrale, il mène une réflexion sur l’éloquence et le pouvoir de la parole tout en dressant le portrait de Girondins, véritables martyres de la liberté qui auront su dessiner l’avenir de la France et de la République. Un texte politique et philosophique qui fraye pourtant avec un certain sens du pathétique et du sublime, rappelant le goût de Nodier pour le fantastique et l’imaginaire.

L'interview a été réalisée par l'agence Kogito.