La vie sociale des haies, enquête sur l’écologisation des mœurs

Léo Magnin

En étudiant les requalifications successives des haies du bocage, l’ouvrage met en lumière les enjeux et les ambiguïtés qui accompagnent « l’écologisation des mœurs ».

« Les haies sont-elles le vestige d’une civilisation paysanne perdue ou l’emblème d’une "société écologique" à venir ? » Postulant, dans la continuité des principes analytiques de Norbert Elias, que « le minuscule contient le majuscule », le sociologue Léo Magnin a examiné l’évolution du traitement réservé aux haies. Son objectif : éclairer les mécanismes d’une intégration plus ou moins spontanée des impératifs environnementaux dans les modes de production ou de consommation – ce qu’il appelle « l’écologisation des mœurs ». Pour ce faire, l’auteur a complété les recherches entreprises lors de sa thèse* en puisant dans un corpus de données allant de publications scientifiques et spécialisées à des ouvrages pratiques ou romanesques. S’y sont ajoutés les résultats d’une enquête menée auprès d’agriculteurs, de professionnels du bocage et d’agents administratifs.

Des haies requalifiées au fil du temps

À partir de 1945, les campagnes françaises se sont métamorphosées sous l’effet du « remembrement » des terres et de la mécanisation. Devenues un symbole archaïque, les haies, dont l’intérêt dans l’économie domestique des ménages ruraux s’était progressivement réduit depuis le début du siècle, ont été massivement arrachées pour faciliter l’accès des tracteurs à des parcelles plus étendues. Pourtant, dès les années 1970, on assiste à l’émergence de préoccupations écologiques, à tel point qu’un agriculteur qui percevait des aides publiques pour détruire une haie peut aujourd’hui se voir sanctionner s’il s’y risque. Encadré légalement et soutenue financièrement par l’État et l’Union européenne, ce revirement s’inscrit dans un processus d’écologisation des mœurs qui, en apparence, semble faire consensus.

Un consensus paradoxal

Malgré la volonté politique affichée, la disparition des haies non seulement perdure mais, paradoxalement, s’accroît. Cela tient avant tout à la réduction continue du nombre d’agriculteurs et en particulier d’éleveurs, qui a diminué de 38% depuis 2010. Or, leur activité influe directement, par le biais de l’élevage pâturant, sur l’entretien du bocage et donc des haies. Celles-ci ne disparaissent ainsi plus du fait de grandes opérations foncières mais d’une mutation des pratiques agricoles face à laquelle les mesures de protection s’avèrent inadéquates. Quand elles ne sont pas détournées pour faire de la haie « l’idiote utile de l’agriculture industrielle ». Les haies peuvent cependant offrir un levier efficace pour mobiliser des acteurs ou institutions a priori éloignés du secteur environnemental et donner aux élus locaux des moyens de sensibilisation aux questions écologiques. En analysant les enjeux de l’écologisation des mœurs à la lumière du sort réservé à la haie, La vie sociale des haies révèle la nature des rapports que nous entretenons individuellement et collectivement avec le monde qui nous entoure et, par suite, la façon dont nous choisissons d’y vivre ensemble.

*Magnin Léo. (2021). La haie requalifiée. Enquête sur un dispositif d’écologisation de la Politique agricole commune (2014-2019), thèse de doctorat en sociologie sous la direction de Jean-Marc Weller (CNRS, LISIS) et Samuel Lézé (ENS-Lyon, IHRIM)

L'interview a été réalisée par l'agence Kogito.