Pour republier cet article
Voir l'article original pour connaître les conditions de republications.
Dans les bourgs, les tours et au-delà : des initiatives pour fabriquer du commun
Par Hervé Defalvard de l'Université Gustave Eiffel
« Ce soir mon sentiment c’est que les électeurs nous laissent une dernière chance pour la France. À nous de réunir la France des bourgs et la France des tours… » a déclaré François Ruffin le soir du second tour des élections législatives le 7 juillet dernier.
La fragmentation de l’hémicycle en trois blocs qui rend pour l’heure la France ingouvernable est le reflet de la fracturation du pays réel avec des populations divisées entre des territoires mais aussi sur un même territoire. Sortir par le haut de cette impasse, c’est-à-dire en restant dans l’arc du front républicain, suppose de réunir celles-ci plutôt que de continuer à souffler sur les braises de leur division pour un hypothétique bénéfice électoral.
Réunir donc. Mais plus facile à dire qu’à faire. Modestement, nous mobilisons dans cet article les expériences de faire commun que nous initions ou que nous observons sur les territoires pour suggérer des pistes qu’il serait aussi utile que nécessaire de multiplier tout en prévenant de leurs limites. Car c’est bien en faisant ensemble qu’il devient possible et, surtout, souhaité de vivre ensemble.
Associer les territoires par des fronts et des fonds communs
Depuis son lancement en 2016, l’expérimentation appelée Territoire zéro chômeur, ayant pour but de lutter contre le chômage de longue durée à l’échelle de territoires est particulièrement intéressante.
Aujourd’hui, c’est une soixantaine de territoires qui réunissent au sein de leur organe de gouvernance, le Comité local de l’emploi, des acteurs du service public de l’emploi, des entreprises et des associations et aussi les personnes durablement privées d’emploi et volontaires.
Leur mission est, d’une part, de déterminer de nouvelles activités qui répondent à des besoins non satisfaits, notamment dans l’économie verte, tout en correspondant aux capacités et désirs des personnes dans la file d’attente de l’emploi et, d’autre part, d’assurer leur mise en œuvre dans de nouvelles entreprises à but d’emploi.
Parmi ces territoires, il en est des ruraux comme à Prémery dans la Nièvre, de terres industrielles en déclin comme à Thiers dans le Puy-de-Dôme ou de quartiers populaires comme dans le XIIIe arrondissement de Paris. Ces territoires à la géographie sociale différente sont unis autour d’un front commun. Celui de la lutte contre la privation d’emploi de longue durée qui touche d’abord les plus fragiles d’entre nous. Mais aussi d’un fonds commun, le fonds national d’expérimentation qui transforme les minimas sociaux en aides aux entreprises à but d’emploi. Seule une loi d’expérimentation avec un droit dérogatoire permet ce transfert d’allocations sociales vers les entreprises à but d’emploi.
Il existe d’autres expériences bien différentes, comme celle d’Échanges paysans dans les Hautes-Alpes. À son origine, le constat que les producteurs de lait du Champsaur ne s’en sortent pas avec un prix du litre de lait payé trente-cinq centimes par Nestlé. La plate-forme Échanges paysans imagine alors un autre circuit commercial plus court, incluant de la transformation du lait en fromage par exemple, et destiné à la restauration collective de la Région PACA. Aujourd’hui, lait, fromages, légumes, viandes, œufs des Hautes-Alpes arrivent, après avoir été cuisinés, dans les assiettes de collégiens à Marseille ou de militaires à la base de Toulon. Par son statut de société coopérative d’intérêt collectif, Échanges paysans réunit parmi ses sociétaires, outre ses salariés, les producteurs locaux et aussi la restauration collective de la Région.
Mais associer les territoires ne doit pas se limiter à l’échelle régionale ou même nationale. Ainsi les fab labs, ces laboratoires de fabrication numérique, organisent une autre mondialisation des territoires que celle orchestrée par les marchés financiers. Par exemple, Humanlab à Rennes fabrique ainsi des prothèses de main à partir de technologies numériques en accès partagé pouvant donc être utilisées dans tous les fab labs du monde, soit plus de 2 300 selon la recension que fait la Fabfoundation, car tous ont accès à la même base de connaissance.
Se relier les uns aux autres sur un territoire de proximité
Les fractures sociales n’interviennent pas seulement entre des territoires éloignés. Elles se produisent aussi sur un même territoire.
Notre programme de Recherche et développement territorial mobilise la recherche fondamentale sur les communs, notamment les travaux de la politologue et économiste états-unienne Elinor Ostrom, prix Nobel d’économie en 2009, pour développer des activités en commun sur les territoires. Dans ce cadre, nous avons lancé l’expérimentation de l’éco-lieu Braque afin de réunir la population du quartier populaire Pablo Picasso avec celle de la Cité universitaire Descartes qui sont deux quartiers voisins de la commune de Champs-sur-Marne (77) et néanmoins séparés par des frontières aussi invisibles qu’étanches.
Aujourd’hui, dans leur cursus, des étudiants s’occupent du magasin gratuit de ce lieu et sont les chevilles ouvrières de ses deux évènements annuels, à Noël et au printemps.
Nous avons également participé lors de notre tour de France et d’ailleurs des Territoires solidaires en commun, à la fête de la Narse de Nouvialle dans le Cantal. Celle-ci est organisée à la fin du mois d’août depuis quatre ans par un collectif qui réunit les chasseurs et les pêcheurs du territoire aux côtés de militants écologistes et d’acteurs du tourisme vert avec le soutien des élus de l’intercommunalité de Saint-Flour (15). Ensemble, loin de la division caricaturale entre bobos vegans et chasseurs viandards, ils luttent contre le projet d’ouverture d’une mine de diatomite sur cette zone humide.
À Sainte-Honorine-la-Guillaume dans l’Orne ou à Saint-Firmin dans les Hautes-Alpes, les tensions sont présentes entre les jeunes néo-ruraux récemment installés et les autochtones moins jeunes qui « ont deux générations au cimetière ». Nos interventions dans ces deux cas les ont réunis via des ateliers en construisant la possibilité de raconter une histoire des communs d’hier à demain ou de financer la réhabilitation d’un hôtel-restaurant appelé à devenir un lieu partagé et vivant.
Notre méthode et ses enseignements
Comme enseignants-chercheurs, nous développons une méthode de Recherche et développement territorial qui expérimente des communs sur les territoires afin d’en analyser les conditions de possibilité, les difficultés et aussi les clés du succès.
Par exemple, sur notre territoire de Marne-la-Vallée, nous expérimentons une malterie en commun qui permet de réunir producteurs bio de céréales et micro-brasseurs franciliens autour d’une autre façon de produire et de consommer, festive et responsable. Si elle n’est qu’à son début, nos étudiants participent déjà à cette expérimentation avec leur bière, la Fac-bulleuse, produite avec du houblon qu’ils ont eux-mêmes planté et ramassé.
Son principal enseignement est que c’est le processus du faire commun qui permet à chacun de trouver sa place en contribuant avec ses différences à l’action commune, générant le plaisir de vivre ensemble. Dans ce processus, la part de l’ingénierie pour fabriquer ces territoires en commun est essentielle car elle assure la mobilisation dans la durée autour d’un projet ouvert à même de pouvoir être autant inventé que partagé.
La difficulté pour la financer est souvent la première limite. Ensuite, la capacité à réunir dépend du succès des actions engagées sur ce nouveau mode du faire commun sans lequel le processus a toutes les chances de s’arrêter.
Ce succès, on l’a compris, ce n’est plus le marché qui en donne le verdict mais le territoire : son critère est moins la plus-value financière pour le capital que la plus-value de vie pour le territoire. C’est en multipliant les territoires en commun que l’on pourra dépasser les limites inhérentes à la concurrence mondialisée basée sur tous les égoïsmes.
Fiche d'identité de l'article
Titre original : | Dans les bourgs, les tours et au-delà : des initiatives pour fabriquer du commun |
Auteur : | Hervé Defalvard (Université Gustave Eiffel) |
Éditeur : | The Conversation France |
Collection : | The Conversation France |
Licence : | Cet article est republié à partir de The Conversation France sous licence Creative Commons. Lire l’article original. |
Date de parution : | 21 juillet 2024 |
Langues : | Français |
Mots clés : | économie, chômage, société, politique, dissolution, assemblée nationale, élections législative 2024, territoires, campagne, quartier populaire. |