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Quand chercheurs et citoyens militants coopèrent

Les coulisses de la recherche

En 2017, Anthony Marque, alors secrétaire national du Secours Populaire, entame un périple de deux ans qui lui fait traverser une bonne partie de l’Afrique puis de l’Amérique du Sud. Son but : aller à la rencontre d’hommes et de femmes qui cultivent la terre de manière traditionnelle, pour découvrir leurs habitudes alimentaires et agricoles. L’initiative retient l’attention d’Amina Béji-Bécheur, professeure en sciences de gestion à l’Université Gustave Eiffel et directrice adjointe de l’IRG, qui, après avoir travaillé sur le développement du commerce équitable en France puis sur les Sociétés Coopératives d’Intérêt Collectif (SCIC) ou Participatives (SCoP), étudie les modèles opérationnels par lesquels des citoyens réussissent à développer un projet innovant de transformation sociale par le biais économique. Elle propose à Anthony Marque d’intervenir dans le cadre du Master Gestion des Entreprises Sociales et Solidaires au sein duquel elle enseigne, mais la crise sanitaire du COVID contrarie ce projet.

Chercheurs et citoyens partenaires

Lorsqu’Anthony Marque reprend contact avec elle, quelques années plus tard, c’est en tant que porte-parole du Collectif pour la Narse de Nouvialle. L’association, cherchant à structurer sa mobilisation citoyenne et à proposer un modèle économique alternatif et durable pour la préservation d’une zone humide convoitée par un groupe industriel, a besoin de conseils et d’accompagnement. Des conseils, Amina Béji-Bécheur n’est pas en position de lui en donner, cependant un partenariat est envisageable dans le cadre du projet OAC-NS qu’elle coordonne aux côtés d’Audrey Bonnemaizon. Celui-ci vise à étudier, dans une démarche pluridisciplinaire alliant gestion, urbanisme et sciences techniques et sociales, les expérimentations citoyennes mises en place collectivement et localement pour répondre à des problématiques environnementales et sociales, afin de comprendre les conditions de leur réussite. La mobilisation du Collectif pour la Narse de Nouvialle correspond en tous points à son champ d’investigation.

Apprendre à se connaître

Une collaboration suppose la participation active et équilibrée des parties en présence. Dans le cas présent, la tâche peut sembler difficile car ce sont deux mondes bien différents qui se rencontrent : d’un côté, celui de chercheurs qui observent et analysent ; de l’autre, celui de militants qui ressentent et réagissent. Réunis par un élan protestataire visant à préserver le territoire sur lequel ils vivent et travaillent au quotidien, l’engagement de ces derniers est porté par des principes idéologiques, sinon politiques, auxquels les chercheurs ne sauraient adhérer qu’à titre individuel et privé, en aucun cas dans le cadre de leurs travaux. Il convient donc avant tout de trouver la bonne distance, la bonne approche et les bons mots pour se parler. Pendant les six premiers mois du projet OAC-La Narse, chercheurs et associatifs vont ainsi apprendre à se connaître et à comprendre leurs attentes respectives. Une première rencontre est organisée en novembre 2021. Par la suite, les échanges seront nourris et réguliers, et c’est Gilbert Kientega, doctorant, qui maintiendra un lien direct avec l’association, en multipliant les visites de terrain ou en participant aux différentes réunions organisées.

Des méthodes et outils à construire

Les objectifs étant cadrés et les logiques d’interactions identifiées, la phase d’accompagnement peut être engagée. Elle passe par des ateliers de formation pendant lesquels sont élaborés les méthodes et outils de communication qui permettront d’étendre le réseau d’ancrage du collectif et de renforcer sa légitimité. La communication auprès des habitants est maîtrisée. Elle se fait lors de rassemblement annuels tels que la Marche pour la narse, organisée en février dans le cadre de la journée mondiale des zones humides, la Fête de la narse ou des rendez-vous ponctuels: découverte de la narse à pieds ou à vélo, concerts, etc. L’accompagnement proposé par les chercheurs porte en priorité sur la consolidation du projet économique alternatif porté par le collectif ainsi que sur la sollicitation des acteurs économiques susceptibles d’y participer. Une trentaine d’entretiens avec des acteurs de filières diverses (agriculture, agroalimentaire, logistique, forêt, tourisme) sont réalisés par les membres du collectif, d’abord accompagnés par les chercheurs, puis de manière autonome.

Une aventure humaine

Démarche exemplaire d’une collaboration entre une association et une équipe de chercheurs, le projet OAC-La Narse a permis aux scientifiques de nourrir leurs réflexions tant au niveau des connaissances acquises que de leur méthodologie expérimentale. Il a, dans le même temps, apporté au Collectif pour la Narse de Nouvialle de nouveaux outils pour mener ses actions en cours ou à venir : des modèles de questionnaires, des grilles d’évaluation et, plus généralement, des méthodes développées de manière collaborative afin d’affiner un projet construit sur une vision économique durable du territoire, puis de le partager avec le plus grand nombre. L’envie de partage est sans conteste la clé de la réussite de cette expérience car, pour les uns et les autres, les bénéfices qu’ils en retirent sont aussi importants que l’aventure humaine dans laquelle elle s’est inscrite. Quant à la décision finale sur l’avenir de la zone humide, elle appartient au Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires.

Image du terrain