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Quand chercheurs et citoyens militants coopèrent

Regards croisés

Entretien avec Amina Béji-Bécheur, professeure des universités en Gestion à l’Université Gustave Eiffel et Anthony Marque, porte-parole du Collectif pour la Narse de Nouvialle.

Comment le projet OAC-La Narse s’est-il construit ?

Anthony Marque : L’équipe de chercheurs n’est pas intervenue sur le volet défense de la zone humide. Le travail que nous avons réalisé avec elle portait sur la valorisation du territoire et du patrimoine local, pour définir leurs potentialités économiques et la façon de les mettre en avant auprès des élus, des habitants ou des acteurs économiques. Ce qui était très intéressant, c’est la complémentarité des approches. La démarche des chercheurs était scientifique et objective, avec tout un processus d’enquête, et nous leur apportions les connaissances du territoire et des enjeux, qu’ils ont fini par acquérir.

Amina Béji-Bécheur : Ce qui nous intéresse, c’est vraiment de rentrer dans la fabrique d’une organisation. Il ne s’agit pas d’étudier des “objets“ en restant en surplomb ou à l’extérieur du phénomène étudié, mais en étant en interaction avec les personnes concernées. L’idée qui porte le projet OAC, et notamment celui de la Narse de Nouvialle, c’est que les partenaires de la recherche deviennent eux-mêmes chercheurs. Quant à nous, nous sommes devenus acteurs du collectif. Ce travail collaboratif a dépassé la simple coopération où chacun reste dans son rôle, s’en tient à sa fonction.

Quelles difficultés avez-vous rencontré ?

Anthony Marque : L’approche des chercheurs est scientifique alors que nous, nous sommes moins dans la réflexion de la méthode mais plus dans l’action. Parfois nous trouvions que nous n’avancions pas aussi vite que nous l’aurions voulu et que cela ne nous aidait pas autant que nous en avions besoin. Nous avons dû apprendre à nous connaître.

Amina Béji-Bécheur : Au départ, on ne parle pas forcément le même langage et il faut arriver à dépasser cette altérité par des échanges réguliers. En tant que chercheurs, nous avons une sorte d’expertise sur le questionnement et le recueil d’informations, alors que les citoyens se mettent spontanément en posture de non-experts. Le risque est de questionner l’autre sans lui laisser la possibilité de nous questionner en retour et de se trouver dans une position de conseils. Nous avons eu quelques difficultés par rapport à ça car nous étions interpellés pour donner des recettes, ce que nous ne voulions pas faire. Il a fallu du temps pour trouver les bons outils afin de travailler ensemble.

L’accompagnement des chercheurs a poussé et aiguillé notre mobilisation.

Qu’en retirez-vous ?

Anthony Marque : Depuis que nous savons que la collaboration arrive à son terme, nous nous rendons compte de ce qu’elle nous a apporté, principalement au niveau méthodologique. Nous avons pu réunir des informations et des données chiffrées qui nous permettent, en faisant émerger ce que les habitants ou les acteurs du territoire nous ont communiqué, de présenter un projet économique durable et des arguments en faveur de la préservation de la zone humide. L’accompagnement des chercheurs a vraiment poussé et aiguillé notre mobilisation.

Amina Béji-Bécheur : La recherche participative n’est pas naturelle pour un chercheur et demande beaucoup de réflexivité. Il y a de nombreux travaux sur le sujet, mais tant qu’on ne l’a pas vécu de l’intérieur, ça reste théorique. Ce projet nous a d’abord permis d’améliorer notre manière d’appréhender les “terrains“ que nous avons tendance à anonymiser, y compris pour les protéger, en parlant de citoyens ou d’acteurs, ce qui met une certaine distance entre eux et nous. La question est toujours de savoir quelle est la bonne distance à maintenir pour se départir d’une posture de sachants tout en restant dans une démarche de recherche. Ensuite, nous avons fait émerger ensemble des connaissances nouvelles sur les organisations portées par des citoyens, sur leurs capacités à produire des projets économiques respectueux d’un patrimoine commun, de ressources naturelles et d’un milieu de vie, connaissances que nous pourrons partager avec nos étudiants. La recherche nourrit nos enseignements. C’est une démarche très riche qui m’apparaît comme une formation continue de l’enseignant-chercheur.

En savoir plus sur les porteurs du projet

Amina Béji-Bécheur

Titulaire d’un doctorat en Management soutenu à l’Université Paris Dauphine, Amina Béji-Bécheur a été maitresse de conférences à l’Université Lille 2 avant d’intégrer l’Université Gustave Eiffel comme professeure des universités en Gestion et responsable du master Gestion des entreprises sociales et solidaires. Après avoir étudié le développement du commerce équitable en France, en partenariat avec l’association Artisans du monde et la Plateforme du commerce équitable (aujourd’hui Commerce Équitable France), elle poursuit ses travaux de recherche sur les sociétés coopératives d’intérêt collectif, puis sur les sociétés coopératives participatives. Directrice adjointe de l’Institut de Recherches en Gestion (IRG), elle est l’une des coordinatrices du projet Organisations Alternatives de la Citoyenneté – Nord Sud et, depuis 2022, présidente de l’Association Française de Marketing.

Anthony Marque

Après avoir passé une licence en Entreprenariat et gestion des administrations de l’économie sociale et solidaire à l’Université Clermont Auvergne, Anthony Marque suit une formation d’accompagnateur en montagne. Animateur au Secours Populaire à partir de 2006, il assure la coordination de la fédération du Puy de Dôme dont il est directeur des chantiers d’insertion de 2013 à 2016, période pendant laquelle il tient également le poste de secrétaire national de l’association. En janvier 2017, il entreprend un tour du monde à vélo qui le mène de Clermont Ferrand au Cap Horn, en passant par l’Espagne, le Maroc et le Sénégal, puis de Panama au Sud du Chili. De retour en France, il officie comme accompagnateur en montagne et s’engage, en 2020, dans l’action du Collectif de la Narse de Nouvialle dont il est le porte-parole.