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Kréol lé parèss ? Les ultramarins victimes de préjugés

Regards croisés

Entretien avec Alice Murgier, responsable du Pôle juridique de SOS Racisme et Yannick L’Horty, enseignant-chercheur spécialiste des discriminations sur le marché de l’emploi à l'Université Gustave Eiffel.

Quels étaient vos objectifs en élaborant le projet MELODI-DOM ?

Yannick L’Horty : Les discriminations se définissent à la fois par des critères (âge, sexe, handicap, confession…) et des situations (accès à un logement, à un prêt, à un loisir…). Le critère de l’origine et la situation d’accès à l’emploi ont déjà fait l’objet d’une littérature scientifique abondante mais qui ne dit rien de l’évolution temporelle du phénomène, ni de sa géographie : les discriminations sont-elles plus importantes à Marseille qu’à Paris, en France qu’en Belgique, en métropole que dans les territoires d’outre-mer ? MELODI est un programme1 qui a pour objet d’investir la dimension spatiale du phénomène de discrimination. Avec MELODI dans les départements d'outre-mer, nous nous sommes également penchés sur un domaine d’étude scientifique orphelin : la discrimination selon l’origine ultra-marine. Notre dernier objectif consiste enfin à mieux comprendre les discriminations, à interpréter ses mécanismes afin d’être plus efficace en termes de recommandations pour l’action publique.

Alice Murgier : L’intérêt de MELODI-DOM - et plus largement de notre collaboration avec TEPP qui existe depuis une dizaine d’années dans le cadre de projets comme DIAMANT ou PIRATE - c’est le poids académique et scientifique qu’elle donne à notre association. Ces études apportent des données obtenues avec des méthodes statistiques avancées. Ce sont des faits qui prouvent que la discrimination existe et qu’elle n’est pas un phénomène isolé. Elles enrichissent nos connaissances, appuient notre discours auprès des décideurs et renforcent la crédibilité de nos actions juridiques. La localisation de l’étude est également importante : les outre-mer sont des territoires oubliés auxquels on ne s’intéresse pas assez, nous y compris.

Les études scientifiques renforcent la crédibilité de nos actions juridiques.

Quels sont les enjeux derrières ces objectifs ?

Y. L. H. : Tout d‘abord l’objectivation de la discrimination. Nous avons beaucoup de mal à la mesurer, à tel point qu’il peut y avoir un déni de sa réalité. Nous devons apporter des preuves de son existence, de son ampleur et de ses formes. La difficulté tient notamment à ce que la discrimination est un délit lourdement sanctionné : a priori un discriminant ne va pas parler librement de son comportement discriminatoire. À ce titre, la participation de SOS Racisme au projet est centrale. Leurs opérations de testing - méthode que l’association a popularisé en France dans les années 1990 - contribuent à rendre visible les discriminations. Par ailleurs, l’association a aidé à valoriser les résultats de nos études. Les membres de SOS Racisme sont des experts qui ont tissé des relations à la fois avec les médias mais aussi auprès des cabinets ministériels et des grandes directions de l’administration centrale. C’est grâce à eux que nous avons pu monter la conférence de presse avec le ministère chargé de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances.

Le second enjeu de nos travaux porte sur l’accès à l’emploi. Dans les DOM, le marché du travail est dégradé et il y a une surexposition du chômage, en particulier pour les jeunes et les femmes. Or je pense que la discrimination est l’une des causes sous-estimées du chômage.

Quels sont les impacts des résultats de l’étude ?

A. M. : Ils défient toute logique : bien qu’inexcusable, privilégier quelqu’un de la même ville aurait été compréhensible, là c’est l’inverse. Cela prouve une nouvelle fois que les préjugés racistes véhiculés depuis de nombreuses années persistent. On ne choisit pas son nom et son prénom. S’il faut en changer pour trouver un emploi, la situation est grave. La lutte contre le racisme est un combat toujours d’actualité et qui doit se mener partout.

1 MELODI est un programme de recherche destiné à se déployer sur différents territoires. Une première étude pilote - en coopération avec la Communauté d'agglomération Maubeuge Val de Sambre - a été organisé en 2020. En 2022, une autre étude MELODI s’est penchée sur Les effets croisés du genre, de l’origine et de l’adresse sur le territoire de la métropole de Lille.

En savoir plus sur les porteurs du projet

Alice Murgier

Alice Murgier est la responsable du Pôle juridique de SOS Racisme, association nationale née en 1984, un an après la première marche pour l'égalité et contre le racisme. Très médiatique, l’association est une figure de l’antiracisme en France.  

      

   

   

 

Yannick L’Horty

Enseignant-chercheur en sciences économiques à l'Université Gustave Eiffel, Yannick L’Horty consacre ses travaux de recherche aux discriminations sur le marché de l'emploi et à l'évaluation des politiques publiques. Il est le directeur de la fédération de recherche Théorie et Évaluation des Politiques Publiques (TEPP - CNRS), la plus grande fédération pluridisciplinaire de recherche sur le travail et l’emploi. TEPP structure la recherche sur les mutations de l'emploi et du travail et mène de nombreuses opérations de testing afin de mesurer les discriminations. Yannick L’Horty est également le directeur de l’Observatoire national des discriminations et de l’égalité dans le supérieur (ONDES).